qui

trop à lire
pas assez
j’ai tout lu
je n’ai rien lu
je me perds
je me retrouve

Et le monde se soulève et s’abrège. Dans ma peur il y a des îles. Alors peut-être un soulagement. Celui de me reconnaître, fugace instant essentiel et intime.

Qui suis-je pour dire qui je suis ?

Photo de Céline Clanet

Ripisylve (forêt bordant un cours d’eau) de la Réserve de Vie Sauvage du Trégor de l’ASPAS, dans les Côtes-d’Armor, en bordure du Léguer. Acquise en 2013 à partir d’une donation, cette réserve de 60 ha accueille notamment la lamproie marine, la loutre ou encore la musaraigne d’eau.

où coule le silence

Anne-Sophie Costenoble

il faut mettre au silence tout ce bruit intérieur

ce qui coule et roule
un ruisseau de galets
crissement de pierres mouillées
en étincelles humides

ce qui roucoule férocement
loin du vœu de comprendre
ce qui ne m’écroulera pas

si l’attention diffère
du désir entrevu
cela n’a pas de prise

ce qui se fait attendre
n\’a pas de but

la fureur en moi
contenue
pour ne pas embraser l’heure

ce silence à dompter
comme premier cheval
sans corde
à monter les pieds nus

l’aube à suffoquer est loin derrière
il n’y a plus le temps d’une jeunesse mobile
à s’effrayer de peu
mais les artères en parlent
comme blessures ouvertes
j’ai connu ce sang vif
à boire jusqu’à la lie
dans les matins soumis

du silence
encore du silence
jusqu’aux battements du cœur
enfin au bon niveau

de l’intention du corps à l’attention des corps

Louis Blanc

Le matin, aube gentille, c’est dans un brouillon que je retrouve mon corps, endolori par le sommeil de l’âge. Ratures et pattes de mouche. Froissé, le papier de la peau. L’os sans souplesse. Le muscle cherchant le miel. Les nerfs à dénouer. Le réveil en est-il un ? Il se peut que l’on puisse encore rêver les deux yeux grands ouverts.

Alors, la fantaisie de l’amour, sous-marin de nos sens, refait surface. Un sourire comme caresse. Simple geste tendre. Combien de ces délicats moments s’échappent-ils de nous – conscients et inconscients – ? Quelles prises, quels dons nous affectent ? Comment croire encore à cette magie soudaine ? Comment percevoir cette fantaisie si proche, si lointaine pourtant ?

L’attention est tombée dans le puits.

pourtant

 

Zakane

 

 

 

 

 

 

 

 

je veux un soleil dur
je veux un soleil franc
pour oublier le soleil froid d\’hiver

pourtant revenus
les oiseaux migrateurs
qui convoitent le ciel

pourtant les hommes aux champs
sur d\’énormes machines
à phosphater la terre

pourtant déjà
quelques cycles de fleurs
abreuvant les insectes

pourtant la jeunesse d\’un sein
sous le coton léger
dans des rues assumées

pourtant se croyant libres
après une piqûre
les fanfarons notables

pourtant un espoir fou
que le monde a changé
en d\’autres habitudes

pourtant les cris
des enfants des écoles
dans les cours des adultes masqués

pourtant l\’injonction bête
d\’assiéger des terrasses
pour condamnés aux ordres

pourtant le goût du sang
que j\’ai toujours en bouche
en moyen-orient

pourtant
il reste
le soleil froid d\’hier

je ne veux qu\’une pierre à chauffer dans ma paume

Le café coule

Peter Handke par Niklas Elmehed

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les matins sont difficiles, n\’est-ce pas ? Le café est noir. Le reste suit dans la même tonalité. S\’il pleut, c\’est encore pire. Le flux informatif nous déverse tant de noirceurs que la moindre nuance de gris a toutes les chances de nous ravir. Le feu est éteint. Le chat est parti. C\’est difficile, il faut l\’effort de passer outre le constat. La Palestine, la Colombie, la Birmanie, le Nigeria … tant d\’autres pays. Ici de même, dans un chaos latent. La guerre est permanente. Confusion dans les esprits. Ce qu\’il va advenir, le funambule peut-il tenir sur un fil invisible ?

Je vais citer Peter Handke dans \ » Par les villages \ ». Ceci avant de faire du feu. Il fait froid en mai. J\’ai ma conscience assise tout à côté de moi. Elle attend que je l\’enlace.

\ » Joue le jeu. Menace le travail encore plus. Ne sois pas le personnage principal. Cherche la confrontation. Mais n\’aie pas d\’intention. Évite les arrière-pensées. Ne tais rien. Sois doux et fort. Sois malin, interviens et méprise la victoire. N\’observe pas, n\’examine pas, mais reste prêt pour les signes, vigilant. Sois ébranlable. Montre tes yeux, entraîne les autres dans ce qui est profond, prends soin de l\’espace et considère chacun dans son image. Ne décide qu\’enthousiasmé. Échoue avec tranquillité. Surtout aie du temps et fais des détours. Laisse-toi distraire. Mets-toi pour ainsi dire en congé. Ne néglige la voix d\’aucun arbre, d\’aucune eau. Entre où tu as envie et accorde-toi le soleil. Oublie ta famille, donne des forces aux inconnus, penche-toi sur les détails, pars où il n\’y a personne, fous-toi du drame du destin, dédaigne le malheur, apaise le conflit de ton rire. Mets-toi dans tes couleurs, sois dans ton droit, et que le bruit des feuilles devienne doux. Passe par les villages, je te suis. \ »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

le dernier mot revisité (publié le 11 mai et corrigé le 12)

Xavier Casalta

 

 

 

 

 

 

Pour les pensées qui m\’occupent et qui me serrent, qui me piquent trop souvent, je veux parler des soucis du monde, les conflits humains immémoriaux, la levée des drapeaux bruns et des faisceaux immondes, l\’abandon des mesures accordées et si faibles pourtant, au profit du profit, l\’impossible unité des désirs innombrables de changement radical, la révolte engluée devant trop de belles et longues paroles, le cri du cœur jeté aux terrains vagues, le vaccin interdit là-bas dans nos anciennes annexes, les coups de l\’époux fou sur l\’épouse apeurée, l\’enfance spoliée et vidée de sa substance neuve, la jeunesse isolée dans des dortoirs immondes, les arbres abattus au centre de nos terres, le porte-feuille puissant qui lorgnent des gambettes et qui est prêt à tout payer rubis sur l\’ongle, l\’onde de l’algorithme désormais au pouvoir, mais aussi celles – les malignes pensées – de notre modeste quotidien d\’êtres sans ressources, que mangerons-nous demain, comment ne pas râler quand la pluie imprévue vient creuser la dalle en ciment fraîchement tirée, l\’âge et son cortège de génies malhonnêtes rognant la nuit et refusant l\’offre d\’un petit sommeil calme, les mauvais esprits enfouissant le corps dans le marais des nerfs, le trouble occasionné par l\’absence du chat, le voisin dans son immobilisme serein et qui jette en pâture aux ogres de l’acculture tout ce qui n\’est pas chrétien, les articulations sujettes aux jeux du temps, les rhumatismes, l\’arthrite, l\’attente … pour les pensées qui m\’occupent, qui me pèsent, et la fuite impossible devant leur persévérante présence néfaste, j\’ai quelques remèdes insignifiants. 

Je lis.
Je peux chanter aussi.
Je m\’assois sans rien faire.

Une respiration.
Je regarde mon amie, mon âme, son jeu dans la lumière d\’un matin rigolard.

Et puis la fleur
éclose
épanouie
dans un bourdonnement d\’abeilles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Zouba – 2 –

 

Zakane

 

 

 

 

 

 

il y a toujours l\’onde
l\’onde du chat

elle restera
tel l\’effluve de l\’animal sauvage
l\’animal qui passe
et qui marque un territoire
elle restera encore
encore quelques moments
quand j\’ouvre la porte au matin
quand je sors le lait
quand le feu a pris
l\’hiver
quand j\’explore des pistes
dans le jardin
quand la pluie tombe
et que je regarde le fauteuil à ma droite
pour me rassurer
quand je ne sens aucun poids
sur mes cuisses
à l\’aube
devant mon café froid

je ne sens que l\’onde

c\’est encore présent
quelques moments

La masse réfléchissante

 

La demeure du chaos

 

 

 

 

 

 

 

 

Me font marrer. C\’est à pleurer.
Nous n\’irons pas. Nous irons. Aux pas nous irions donc. Ô, où donc nous irions !
Ensemble ou seul·e. Ensemble mathématique fermé à compter sur le vide.
L\’indécision profite.
Les vestes se retournent, allègres les doublures.
Le candidat, la candidate, celles et ceux pour toutes et tous.
Je vous dis : – Vos vestes citoyens ! Vos vestes claquent.
Le vent. Passe le vent sans laisser son empreinte. Il tourne dans un linceul.
Le but du pouvoir.
Pour elle, pour lui, et seulement elle et lui.
Monter les marches et bander et mouiller.
Souci de soi flatté par l\’environ proche, les laquais suspendus, les courbettes suspicieuses, les concubines murées et les amants cachés.
Elles font ça. Ils font ça. Toutes et tous. Sourire aux caméras, pourquoi ne pas le faire ? Devant les masses aux bouches ouvertes à gaver. Ils portent beaux costumes. Et elles, apprêtées, les atouts rehaussés. Le fard coule pourtant.
Mais il est tard, monsieur-madame, on ne remarque pas, et toutes et tous arborant à leur crasse boutonnière, ou levant le drapeau d\’une conviction saoule, se glorifient d\’une flamboyante vertu qui ne tiendra jamais.
Le ravage de croire qu\’un vote suffira.

J\’ai vécu mille revirements. Du rose au rouge. Du rouge au brun. Et du bleu pâle à l\’or. Et de l\’or brut au sang.
Je ne m\’étonne plus.
Seul le noir conserve encore sa forme. Indistinct, invisible et pourtant souverain
… sans aucune frontières.

Domestiques, il y a si longtemps que les brebis bêlantes lèchent le mensonge du sel déposé à leurs pieds et que les veaux patients se soumettent aux mamelles des sots. 

On préfère toujours l\’enveloppe des urnes aux saccages des bornes.
Dans l\’ornière, un seul peuple se tient.

Ode à Félix

Félix Leclerc – Archive de La Presse Montréal –

 

 

on dit d\’un soleil qu\’il se lève
il ne se lève pas
voyageur infatigable
depuis des ages que nous ne pouvons comprendre
ni même imaginer
il poursuit sa route sans jamais se coucher
fidèle à ce qu\’il a toujours été

l\’homme
lui
se lève et se couche
et se couche et se lève

je rêve d\’un homme rare
rare
un sans sommeil
un éveillé

celui-là
aux profondeurs de la nuit
a la lucidité même du soleil
espérant
de pouvoir en finir
à la seconde prévue
avec les insomnies en marche
de la bêtise humaine

nous sommes des soleils
sans cesse dans la course
et pourtant nous dormons

qui a la joie du mot
nous raconte
que jamais le soleil ne se lève
que son axe est le nôtre

il est temps

si t\’as compris !*

* Le Tour de l’Île 

écrire des couleurs

 

Philippe Martz


 

 

 

 

 

 

\ » Mais puisque je ne travaille pas dans l’espoir,
je ne peux jamais être désespéré. \ » 
 
              

Kenneth White

 

La pluie ravage les pétales des Seringats. Leurs fragrances s\’isolent. D\’autres fleurs subissent. Et la terre mouillée. L\’odeur d\’un temps passé. Le sommeil en sourdine aussi. Le parfum des draps rêches. Au réveil je renifle des restes. Sans larmes. Et ce qui dégouline est sec.
Je sais dehors les hommes dans leurs funestes habitudes. Bataillons entravés. Un flux de tendresses inassouvies. La règle est soumission. Que ferai-je de leurs paroles convenues ? Ne peux me contenter de ces balises éteintes. 

On ne prend même plus le temps de distiller les arpèges. Sauf de rares éperdu·es. La musique actuelle – jusqu\’à l\’indigestion – n\’est qu\’un courant sonore sans cesse reproduit. A l\’identique. Plainte algorithmique sans véritables poussières vivantes. Et sans changer de forme. Mets le chant dans la gorge du robot, tu verras. Ce bruit qui fige le sang.
Ils s\’abreuvent de cela. Un jet sans saveur. Une danse d\’automates. Si la centrale saute ils n\’auront plus de cordes.
Puisque la vie en vrac. Je déballe du vrac. Ils construisent ce qui tombe. Ce sont déjà des ruines à peine elles s\’élèvent. 

Et si je dessinais je ne parlerais pas. C\’est difficile d\’écrire des couleurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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